Le 28 avril 2010, Mesdames, Messieurs les Députés,
Début mai, vous examinerez le projet de loi Grenelle 2, pour rendre opérationnels certains des engagements issus du consensus d’octobre 2007. Cette étape est essentielle : au-delà des aspects techniques, il s’agit d’envoyer un signal fort.
Face à la crise, face au doute, les citoyens français ont besoin de constater que leurs élus prennent leurs responsabilités pour engager une mutation profonde de notre société. Nous réaffirmons avec force qu’opposer compétitivité économique et préservation de l’environnement revient à se tromper de diagnostic. C’est faire fausse route que de croire que nous sortirons mieux ou plus vite de la crise en faisant l’impasse sur l’environnement. Il serait très dommageable que cette vision erronée soit prétexte à un affaiblissement de la loi Grenelle 2.
Il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer que l’économie entière repose sur l’exploitation des ressources naturelles (eau, minerais, sols, énergies fossiles, richesse biologique des forêts et océans). Leur raréfaction et leur dégradation, le changement climatique, la destruction des écosystèmes, mettent en péril nos sociétés. Le Grenelle devrait précisément avoir pour objet de nous préparer à cette mutation incontournable vers plus de sobriété, vers un meilleur partage des ressources, et in fine de construire un projet de société répondant aux défis écologiques, sociaux et économiques.
L’ambition du Grenelle devrait également être de façonner une nouvelle manière de faire de la politique, par le dialogue renforcé entre la société civile et ses élus. Un processus de concertation élargie jusqu’alors insuffisamment utilisé en France a été mis en place. Depuis près de trois ans, nos organisations ont pris leurs responsabilités en participant activement à cette concertation et en acceptant les compromis nécessaires pour que des mesures consensuelles se dégagent.
Vous avez, avec le gouvernement, la responsabilité de faire le lien entre les résultats de ce processus et sa retranscription dans notre législation. Avoir promu la participation et le débat, sans ensuite en tenir compte, déboucherait sur un double danger : l’échec écologique bien sûr, mais aussi un risque politique profond, celui d*une perte de foi dans le dialogue et donc dans le système démocratique. C*est pourquoi nous vous appelons à respecter les points essentiels de ce projet de loi et à l*améliorer pour répondre aux enjeux. Nos organisations ont proposé des amendements en ce sens.
Si l’ensemble du texte est important, nous tenons à souligner les points suivants.
Certaines avancées sur l’énergie et le climat doivent être confirmées, notamment l’introduction de ces enjeux dans les politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme, l*adoption de plans climat énergie territoriaux par les collectivités de plus de 50 000 habitants ou l*obligation, pour les entreprises de plus de 500 salariés, de réaliser des bilans d*émissions de gaz à effet de serre.
Certaines dispositions sont, par contre, préoccupantes. Ainsi en est-il des restrictions abruptes imposées à l’énergie éolienne. S’il est légitime d’encadrer le développement des énergies renouvelables par des règles environnementales, soumettre l*énergie éolienne aux mêmes restrictions que des centrales thermiques n’est nullement justifié. Cela condamnerait le développement de la filière et donc l’atteinte de l’objectif de 23% d*énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d*ici 2020.
Concernant la biodiversité, la création de la trame verte et bleue (TVB) et sa traduction dans l’aménagement du territoire constituent de réelles avancées du projet de loi. L’introduction de l’objectif de « préservation et de remise en état des continuités écologiques » dans le droit de l’urbanisme est, en cela, une disposition importante à conserver. Par ailleurs, pour que la TVB soit efficace, il est nécessaire de maintenir la compatibilité des grandes infrastructures de l’Etat avec les schémas régionaux de cohérence écologique qui la définissent au niveau régional. La TVB est une opportunité de prendre en compte la biodiversité de nos territoires, au niveau le plus pertinent. Ne la manquons pas !
En matière agricole, le projet de loi Grenelle 2 prévoit l’encadrement des activités de vente et de conseil de pesticides, afin de respecter l’objectif de réduire leur usage de 50% d’ici 2018. Cependant, d*autres dispositions rendent aujourd’hui beaucoup plus difficile le retrait de pesticides autorisés au niveau européen, puisqu’il serait subordonné à un avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments accompagné d’une étude d’impact socio-économique.
Nombre d’autres sujets peuvent être améliorés. Il s’agit notamment de renforcer la responsabilité des entreprises en imposant la transparence sur leurs impacts sociaux et environnementaux, et en renforçant la responsabilité des sociétés mères vis-à-vis de leur filiales. Enfin, il est nécessaire de préciser dans quels délais l’affichage environnemental des produits sera généralisé après l’expérimentation prévue dans la loi.
Trois ans se sont écoulés depuis le lancement du Grenelle. Nous nous inquiétons aujourd’hui des contradictions entre de nombreuses politiques (Grand emprunt, plan de relance) et les objectifs affichés en octobre 2007. Au-delà de cette loi, il est nécessaire de faire progresser la gestion transversale des politiques publiques, de doter notre pays d’une véritable stratégie de long terme afin de répondre aux défis de ce siècle. Au-delà du Grenelle, qui ne peut être une fin en soi, nous vous appelons à manifester lors de l’examen de chaque loi votre engagement pour que la France amorce enfin sa transition écologique.
Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs les députés, l’expression de nos respectueuses salutations.
Christophe Aubel
Directeur de la Ligue Roc
Allain Bougrain-Dubourg
Président de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux)
Bruno Genty
Président de France Nature Environnement
Gilles Lara
Président du CLER (Comité de Liaison des Energies Renouvelables)
Franck Laval
Président d’Ecologie sans frontières
Sandrine Mathy
Présidente du Réseau Action Climat – France
Cécile Ostria
Directrice générale de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme
Serge Orru
Directeur Général du WWF France